C’est une injustice qui dure depuis 70 ans : les députés examinent mardi 3 juin 2025 une proposition de loi pour la reconnaissance des rapatriés d’Indochine, 44 000 personnes parties de leur pays en guerre. À leur arrivée en France, des milliers d’entre elles ont été parquées dans des camps. Un épisode méconnu.
Daniel Frèche n’a rien oublié de ce jour de 1956 où il débarque à Marseille avec sa mère et ses cinq frères et sœurs, après 25 jours de navigation dans la cale d’un bateau. Né à Saigon, parti sans son père resté dans un Vietnam en guerre, il a dix ans à l’époque. «Nous avions une image très positive de la France», se remémore-t-il. «On pensait vivre mieux qu’en Indochine.»
Mais la famille va vite déchanter. Elle s’installe dans deux camps, à Bias d’abord pendant 5 ans puis dans celui de Sainte-Livrade dans le Lot-et-Garonne. Près de 1 200 personnes y sont entassées, dont 700 enfants. «Le soir, je me rappelle que maman pleurait», explique Daniel Frèche. Dans ces «centres», comme les nomme l’administration française, les rapatriés d’Indochine vivent dans des conditions plus que précaires. «Nous, on appelle ça des camps», insiste Daniel Frèche qui ne l’a quitté qu’en 1977 à la mort de sa mère. «Ça veut dire isolement, privations. On ne pouvait pas sortir, ni entrer comme on voulait. C’était un camp militaire, avec des barbelés autour. On devait saluer le drapeau tricolore, tôt le matin. On vivait avec des ressources minimum. Je travaillais dans les champs à partir de l’âge de 12 ans pour avoir des sous.»
Apprendre «à souffrir et se priver»
Et ce qui devait être provisoire a duré des décennies, passées sous silence. Le camp de Sainte-Livrade n’a été fermé officiellement qu’en 2014. Réparer cette injustice, 70 ans plus tard, Daniel Frèche, professeur à la retraite de 79 ans, l’a attendu toute sa vie. «La France n’a pas été à la hauteur mais maintenant, c’est une reconnaissance vis-à-vis de nos parents», assure Daniel Frèche entre deux sanglots. «Ce sont eux qui comptent le plus. Ce sont eux qui nous ont appris à savoir souffrir, à savoir se priver, à connaître la dureté de la vie. Je me dis : enfin ! Je suis quand même heureux.»
Au total, 44 000 rapatriés civils ont été accueillis en France entre 1954 et 1974, essentiellement les compagnes vietnamiennes des colons français avec leurs enfants métisses. Six mille d’entre eux ont été hébergés dans quatre principaux «centres de transit». Mais contrairement aux harkis et rapatriés d’Algérie, qui ont fait l’objet d’une loi en février 2022, jamais ceux d’Indochine n’ont eu le même traitement.
Entre 300 et 500 survivants
Julien Cao Van Tuat est arrivé en 1962 au camp de Noyans, un ancien village minier de l’Allier. Il a fermé administrativement en 1966 mais beaucoup de ces rapatriés sont restés sur place. Dès 2003, en écrivant au Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, il a été l’un des premiers à se battre pour obtenir une reconnaissance officielle de France. Et tout ça intervient trop tard à ses yeux. «De cette génération-là et qui habite encore le village, il ne reste plus qu’une seule personne. Ce que je souhaite, c’est que cette tata-là puisse enfin avoir la reconnaissance de l’Etat sur son histoire à elle.»
Il y aurait aujourd’hui entre 300 et 500 survivants de cette page sombre de l’histoire de France. «Les rapatriés d’Indochine furent les premiers rapatriés de l’histoire française, ils demeurent les derniers oubliés du législateur français», peut-on lire dans la proposition de loi débattue dans l’hémicycle ce mardi. Elle propose que «la Nation exprime sa reconnaissance envers les rapatriés d’Indochine et reconnaisse sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil.» Elle propose aussi un système d’indemnisation et une «journée nationale d’hommage», le 8 juin. Elle a été votée à l’unanimité la semaine dernière en commission de la Défense.